✏️ Christophe Collin
📅 27 décembre 2025
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🎧 12 minutes
Imaginez que vous conduisiez une voiture dont le châssis est tordu et les freins usés, le tout chargé bien au-delà de sa limite sur une route de montagne. Vous pourriez réussir le trajet cent fois par chance, mais il suffit d'un seul virage un peu trop serré pour que la physique reprenne ses droits.
En aviation, la réglementation est la barrière de sécurité qui empêche ce virage de devenir le dernier.
Le 21 juin 2019, à Hawaii, ce qui devait être un vol de routine pour 10 parachutistes s'est transformé en l'une des pires catastrophes de l'aviation civile sur l'archipel. Un Beechcraft King Air exploité par l'Oahu Parachute Center s'est écrasé quelques secondes après le décollage, ne laissant aucun survivant.
Au-delà de l'erreur de pilotage, l'enquête du NTSB (National Transportation Safety Board) a révélé une chaîne de négligences impliquant la maintenance, la formation et la gestion opérationnelle. Cet accident est l'exemple type de ce que les experts appellent le « modèle du fromage suisse » (théorisé par James Reason) : chaque trou dans la sécurité a fini par s'aligner.
L'histoire de ce crash commence en réalité trois ans plus tôt, en 2016. L'appareil avait déjà subi un accident grave en Californie lors d'une vrille incontrôlée. Les contraintes physiques de la vrille avaient provoqué une torsion structurelle de l'aile gauche et la perte de l'empennage horizontal droit.
Les réparations qui ont suivi furent douteuses :
Réparations non conformes : l'empennage a été remplacé par une pièce provenant d'un modèle non compatible.
Dommages ignorés : l'aile gauche est restée tordue, présentant des ondulations visibles sur le revêtement.
Compensation dangereuse : pour voler droit, l'avion nécessitait que le compensateur d'aileron soit réglé en butée, réduisant ainsi considérablement les marges de manœuvre en cas de décrochage.
Le pilote de 42 ans, bien que titulaire des licences requises, avait échoué à trois examens pratiques consécutifs, en seulement huit mois.
De plus, alors qu'il n'était encore qu'un élève, son instructeur l'avait autorisé à enregistrer sur son carnet de vol les heures faites sur King Air lors de vols commerciaux avec passagers, donc pas un environnement propice à l'instruction. Ce manque de rigueur dans la formation initiale a privé le pilote de la compréhension profonde des limites de son appareil, notamment concernant les effets d'un centrage arrière critique.
L'exploitant opérait dans une zone grise réglementaire et de sécurité :
Absence de programme de formation : Les nouveaux pilotes apprenaient les bases en regardant des vidéos sur YouTube plutôt qu'avec une instruction rigoureuse au sol et en vol.
Calculs de masse et centrage erronés : L'entreprise utilisait une formule générique qui ignorait le poids du parachute (11 à 26 kg par personne), conduisant systématiquement l'avion à voler près ou au-delà de ses limites de centrage arrière.
Dépassement des règles : Le pilote avait pris l'habitude d'effectuer des décollages agressifs pour amuser les passagers, une pratique qui a conduit au décrochage dynamique le jour du crash.
L'accident de Mokuleia n'était pas une fatalité. Si un Système de Gestion de la Sécurité (SGS) rigoureux avait été en place, l'état de l'aile aurait été signalé, les calculs de centrage auraient été vérifiés et la déviance du pilote aurait été corrigée.
Respecter la réglementation n'est pas une contrainte administrative, c'est ce qui vous permet de rentrer chez vous le soir. Que vous soyez pilote, mécanicien, exploitant ou parachutiste : chaque entorse au règlement est une porte ouverte au désastre. La sécurité commence là où les raccourcis s'arrêtent.
Ne devenez pas une statistique. Adhérez aux standards, signalez les anomalies et exigez l'excellence.
Cet accident illustre le fossé qui sépare une gestion opérationnelle artisanale d'un véritable Système de Gestion de la Sécurité (SGS) structuré.
Chez l'opérateur la sécurité reposait sur des pratiques informelles et une absence totale de rigueur : il n'existait aucune procédure écrite, aucun manuel d'exploitation, et la formation des pilotes consistait essentiellement à regarder des vidéos sur YouTube. Cette culture de l'improvisation a permis l'utilisation continue d'un avion que personne n'a jugé nécessaire de réparer.
À l'inverse, l'implémentation d'un SGS aurait imposé un cadre rigoureux de détection des dangers et de gestion des risques. Un tel système aurait :
Bloqué l'avion au sol dès la constatation que l'appareil nécessitait un réglage de compensation (trim) maximal pour voler droit, signe indéniable d'une non-navigabilité ;
Interdit les méthodes de maintenance « fantômes », où les réparations étaient demandées par SMS et effectuées sans aucun enregistrement officiel dans les livrets de bord ;
Corrigé les calculs de centrage dangereux, car le SGS aurait révélé que la formule ignorait le poids des parachutes, conduisant l'avion à voler systématiquement près ou au-delà de ses limites de centrage.
L'enquête souligne que cette absence de gestion structurée a transformé chaque vol en un pari risqué. Là où une gestion artisanale ferme les yeux sur les « petites » anomalies pour maintenir l'activité, un SGS place la conformité et la vie humaine au-dessus de toute pression commerciale
En aviation, la rigueur est la seule monnaie d'échange pour la vie humaine. Pilotes, mécaniciens, exploitants : la réglementation est écrite avec le sang de ceux qui ont cru pouvoir s'en affranchir. Respectez-la, pour que chaque décollage se termine par un atterrissage en toute sécurité.
Analyse Pilot.Debrief (vidéo YouTube)
ABC News (vidéo YouTube)
Nikolas Glebov (passager)
Ashley et Bryan Weikel (passagers)
Daniel Herndon (moniteur)
Larry Lemaster (moniteur)
James Lisenbee (moniteur)
Mike Martin (vidéoman)
Casey Williamson (vidéoman)
Joshua Drablos (pratiquant)
Jordan Tehero (pratiquant)
Jerome Renck (pilote)