Parachutage en haute altitude

✏️ Christophe Collin

📅 17 avril 2024

👓 20 minutes

L’environnement de la haute altitude ne permet pas à l’organisme humain de fonctionner normalement. Nous devons mettre en place des procédures et du matériel en fonction de l’altitude du saut et du temps de vol prévu. L’objectif de vulgarisation de cet article implique que des notions importantes ne seront que survolées voire simplifiées. 

Pour approfondir le sujet, j’engage les lecteurs les plus curieux à prendre connaissance des sources suivantes :

PARTIE 1 : LES CONSTATS

I - ATMOSPHÈRE

L’atmosphère terrestre est définie par sa pression, sa composition et sa température. Dans les altitudes utilisées par l’aéronautique, seules la pression et la température varient en fonction de l’altitude, la composition de l'atmosphère reste constante (environ 78% d’azote, 21% d’oxygène et 1% d’autres gaz). La montée en altitude implique principalement la diminution de la pression barométrique mais également la diminution de la température et l’augmentation de la force des vents.

Diminution de la pression atmosphérique

La pression atmosphérique, aussi appelée pression barométrique, représente le poids de la colonne d’air sur une surface. Elle diminue au fur et à mesure que l’altitude augmente. Au niveau de la mer, la colonne d'air au-dessus de nous exerce un poids énorme (≃ 10 tonnes par m2), créant une pression élevée (≃ 1013 hPa). Plus on s'élève en altitude, moins il y a de colonne d'air au-dessus, donc son poids et la pression diminuent. Par rapport au niveau de la mer, elle est divisée par 2 à 5 500 mètres et par 4 à 10 000 mètres. 

Diminution de la température

La température se définit par l’agitation des molécules. La diminution de la pression atmosphérique pendant la montée en altitude implique que les molécules d'air sont moins comprimées, alors leur capacité à transférer l'énergie calorifique est réduite et la température diminue. On perd ainsi environ 1 degré Celsius tous les 150 mètres, 6,5 degrés tous les 1 000 mètres.

Avec une température d’environ -30 degrés à 7 700 mètres, le vent relatif en chute libre est extrêmement vif et la moindre humidité givre immédiatement. Il est donc important de se protéger efficacement.


Vents plus forts

Les différences de pression atmosphérique entre deux régions sont une cause majeure des vents. Ces variations de pression sont souvent plus prononcées en altitude qu'au niveau du sol, ce qui crée des vents plus forts dans les couches supérieures de l'atmosphère. Ce phénomène est amplifié par la diminution de la friction au niveau du sol. Le vent est freiné par la rugosité de la surface terrestre, telle que les bâtiments, les arbres et les collines. Plus on s'élève en altitude, moins il y a d'obstacles, ce qui réduit la friction et permet au vent de souffler plus librement et plus fort.

Un vent plus fort implique un point de largage plus éloigné de la DropZone. C’est un sujet à prendre en compte pour l’organisation des sessions de saut à haute altitude.


II - PHYSIOLOGIE DU CORPS HUMAIN

Le corps humain est un système complexe dont le fonctionnement essaye de s’adapter quand il est exposé à des altitudes élevées. Nous nous concentrerons ici sur les mécanismes découlant de la diminution de la pression. Chaque mécanisme est défini par une loi scientifique et traite d’un risque identifié : Barotraumatisme, Hypoxie, Maladie de décompression (ou Aéroembolisme) et Rétrodiffusion de l’oxygène.

Loi de Boyle Mariotte - Barotraumatismes

La loi de Boyle-Mariotte décrit la relation entre la pression et le volume d'un gaz. Elle stipule que lorsque la pression diminue, le volume augmente, et vice-versa. 

Ainsi, lorsqu’on divise par deux la pression d'un gaz enfermé (par exemple lors d’une montée de 0 à 5 500 mètres), son volume est doublé. Cette augmentation de volume peut être simplement désagréable (ballonnements et flatulences pour les gazs coincés dans le système digestif), mais aussi causer de vives douleurs (dents non/mal soignées, sinus bouché, oreilles non équilibrées, etc..).

Le barotraumatisme le plus fréquent est celui de l’oreille : lorsque la pression n'est pas équilibrée correctement, cela peut endommager le tympan. Il est néanmoins très facile à éviter si l’on suit  les consignes suivantes :

Dans le cadre des sauts en parachute, les techniques de compensation de pression doivent être appliquées lors de la montée mais aussi lors de la descente. Attendre que le parachute soit ouvert n’est pas conseillé car la compensation sera plus difficile, d’autant plus lorsque l’on saute à 7 700 mètres.

Loi de Graham - Diffusion des gaz

Avant de passer à la suite des mécanismes physiologiques, il faut comprendre la loi de diffusion d’un gaz. Le principe est assez simple, un gaz contenu dans deux milieux distincts se diffuse du milieu dans lequel il est le plus concentré vers le milieu dans lequel il est le moins concentré, jusqu’à atteindre l’équilibre entre les deux milieux.

Loi de Dalton - Hypoxie - à partir du FL100

La loi de Dalton décrit le comportement des pressions partielles des gaz dans un mélange gazeux. 

Dans un mélange de gaz, chaque gaz exerce une pression indépendante des autres gaz présents, c’est la pression partielle. La pression totale du mélange est égale à la somme des pressions partielles de chaque gaz composant le mélange.

La pression partielle d'un gaz dans un mélange est la pression que ce gaz exercerait s'il occupait seul le volume total à la même température.

La pression totale du mélange gazeux est la somme des pressions partielles de tous les gaz le constituant.

Les pressions partielles des différents gaz sont indépendantes les unes des autres. Chaque gaz se comporte comme s'il occupait seul le volume total à la même température.

Tout ceci est particulièrement utile pour comprendre les échanges gazeux dans les organismes vivants. Par exemple, l’oxygène, qui compose 21% de l’air ambiant, a une pression partielle de 213 hPa au niveau de la mer (calcul : 21% de la pression totale qui est en moyenne 1 013 hPa au niveau de la mer) mais d’uniquement 99 hPa à 6 000 mètres d’altitude (calcul : 21% de la pression totale qui est en moyenne de 472 hPa à 6 000 mètres).

Alors que la pression partielle d’oxygène contenue dans le sang reste identique, la diminution de pression partielle d’oxygène avec l’augmentation de l’altitude implique que la diffusion de l’oxygène, de l’air ambiant vers le sang, est de moins en moins efficace au fur et à mesure de la montée. Jusqu’à 1 500 mètres il n’y a pas de carence en oxygène (hypoxie). De 1 500 à 3 500 mètres le corps compense l’hypoxie de lui-même notamment par l’augmentation du rythme cardiaque. Mais au-delà de 3 500 mètres le corps entre en hypoxie, il n’arrive plus à récupérer assez d’oxygène dans l’air ambiant pour continuer à fonctionner normalement.. 

Il faut prendre en compte qu’il y a plusieurs niveaux d’hypoxie, que celle-ci dépend de la vitesse et de la durée d’exposition, et que nous ne sommes pas tous égaux sur la capacité à compenser l’hypoxie.


Dans le monde du parachutisme, il est communément admis d’effectuer des sauts jusqu’à environ 4 000 mètres sans que le risque hypoxique ne soit pris en compte. Néanmoins, pour monter au-delà, des inhalateurs d’oxygène doivent être mis en place afin de supprimer totalement le risque d’hypoxie.

Pour aller plus loin : 

Les études ont montré que pour continuer à fonctionner, l’organisme a besoin que la pression partielle d’oxygène inspiré soit d’au moins 80 hPa. Dans le cas où l’on respire un air composé à 100% d’oxygène grâce à du matériel adapté, la pression atmosphérique minimale pour que la respiration soit fonctionnelle est donc de 80 hPa, ce qui correspond à environ 39 000 pieds (environ 12 000 mètres). Au-delà, l’oxygène ne passe plus de l’air vers le sang et peut même passer du sang vers l’air (rétrodiffusion de l’oxygène). Nous avons donc là le palier au-dessus duquel l’emploi de combinaisons pressurisées devient obligatoire. Dans une certaine limite, des systèmes oxygène à pression positive (surpression dans le masque) peuvent également être utilisés.

Loi de Henry - Maladie de décompression - à partir du FL 250

La loi de Henry explique que la dissolution d’un gaz dans un liquide est directement proportionnelle à la pression partielle de ce gaz. Plus la pression partielle d'un gaz est élevée, plus sa solubilité dans un liquide (comme le sang) sera importante. 

L’air étant composé majoritairement d’azote et d’oxygène, mais l’oxygène étant utilisé par le métabolisme humain, nous nous concentrerons sur l’azote (gaz inerte, non utilisé par le corps humain). Au niveau de la mer, une certaine quantité d'azote présent dans l'air inspiré se dissout dans le sang (loi de Henry) jusqu’à saturation de celui-ci en azote, l’équilibre est atteint (loi de la diffusion des gaz). 

Lors d'une montée en altitude, la pression atmosphérique diminue et le corps humain se retrouve “sursaturé” en azote, celui-ci commence donc à s’évacuer par les voies respiratoires. Si la diminution de pression (montée en altitude) est trop rapide, l'azote présent dans le corps ne peut pas être évacué assez vite par les poumons et il se forme alors des bulles de gaz dans les tissus et la circulation sanguine.

C'est ce phénomène de formation de bulles gazeuses qui est à l’origine de la maladie de décompression. Tout d’abord dans sa forme bénigne (douleurs articulaires, fourmillement ou picotement de la peau) puis, très rare en aéronautique mais commune en plongée sous-marine, dans sa forme grave (blocage de la circulation sanguine). Les plongeurs connaissent bien ce risque et suivent des procédures comportant des remontées lentes et des paliers de décompression pour permettre l'élimination progressive de l'azote. 

Les études ont montré qu’il est rare d’observer des symptômes de la maladie de décompression en dessous du FL 250 (7 700 mètres). Les facteurs contributifs sont les suivants :


La pratique civile des sauts à haute altitude (7 700 mètres) impliquant un temps d’exposition très réduit (moins de 20 minutes au dessus du FL 180), un travail musculaire de faible intensité et une recompression rapide (descente en chute libre), la probabilité d’apparition des symptômes de la maladie de décompression est hautement improbable.

III - AÉRODYNAMIQUE

Vitesse de chute plus élevée

La masse volumique d’un fluide diminue lorsque sa pression diminue. Sans aller jusqu’à reprendre la formule de la loi fondamentale de la dynamique, la diminution de la masse volumique implique qu’un autre paramètre de l’équation augmente. Ce n’est pas la masse du parachutiste ni sa surface, c’est donc sa vitesse. Ainsi la vitesse de chute libre à 7 000 mètres sera plus élevée qu’à 3 000 mètres.

Lors d’une chute libre qui commence à haute altitude le parachutiste accélère jusqu’à une vitesse plus élevée qu’habituellement, puis décélère au fur et à mesure qu’il descend et que la pression et la masse volumique augmentent.

Ces vitesses sont à prendre en compte quant aux procédures à mettre en place lors des sauts à haute altitude, notamment sur le choix du matériel et son utilisation.

Vitesse sol de l’avion plus élevée

En aviation, il y a 3 vitesses à prendre en compte :

Du fait de la diminution de la pression atmosphérique, et donc de la diminution de la masse volumique, pour une même vitesse indiquée la vitesse propre est de plus en plus élevée au fur et à mesure que l’on monte en altitude. La formule pour appliquer cette règle est : 

Vitesse propre = Vitesse indiquée + (1,5% de la vitesse indiquée x l’Altitude)

Par exemple un Cessna 208 qui vole à 80 kts (indiqué sur l’anémomètre) aura une vitesse propre de 80 kts au niveau de la mer, 95 kts au FL 130 et 110 kts au FL 250.

Cette différence joue sur la projection au moment du largage, cela doit être anticipé pour le calcul du point de largage lors des sauts à haute altitude.

IV - RÉGLEMENTATION

Pour finir sur les constats, il faut regarder d’un peu plus près la réglementation en vigueur. Il n’y a aucun texte français sur le sujet, le seul qui traite de l’emport d’oxygène est Européen, il s’agit des articles SPO.IDE.A.175, SPO.OP.195 et SPO.SPEC.PAR.115 de l’AirOPS, ainsi que leurs variantes NCO (aviation non commerciale type clubs FFP).

Il en ressort que l’utilisation de l’oxygène en continu est obligatoire :


En principe chaque aéronef largeur dépassant le FL130 est donc censé être équipé d’oxygène et l’utiliser.

PARTIE 2 : APPLICATIONS PRATIQUES

Pour tous les sauts en parachute au dessus du FL 130 

Le calcul du point de largage doit prendre en compte l’augmentation de la projection ainsi que les potentiels vents forts en altitude. Chaque passager ou parachutiste doit être équipé de protections contre le froid et avoir suivi une formation ou un briefing détaillant au minimum :



Du FL 130 au FL 200 (≃6000 mètres)

Jusqu’à 6 000 mètres le “seul” facteur à gérer est l’hypoxie. Pour l’empêcher, tous les passagers doivent être équipés de systèmes d'oxygénation à débit continu tant qu’ils sont à bord de l’avion. En effet, une fois sorti de l’avion le temps passé à une altitude entraînant des symptômes d’hypoxie est très réduit (même en cas d’ouverture intempestive). 



Du FL 200 au FL 250 (≃7700 mètres)

Au-dessus de 6 000 mètres et en dessous de 7 700 mètres, il y a 2 facteurs à gérer: l’hypoxie et la maladie de décompression.

Pour combattre l’hypoxie, tous les passagers doivent être équipés de systèmes d'oxygénation à débit continu dans l’avion et pendant la chute. Ces systèmes devant être embarqués pendant le saut, ils doivent être adaptés à la pratique du parachutisme. Ces systèmes délivrent de l’oxygène dilué à l’air ambiant.

Pour éviter la maladie de décompression, il faut : 

Du FL 250 au FL400 (≃12 000 mètres)

Au-dessus de 7 700 mètres et en dessous de 12 000 mètres, voire même en dessous de 7 700 mètres lorsqu’un travail musculaire est prévu et/ou que les vols à haute altitude sont plus longs (ex: sauts HALO / HAHO dans le cadre militaire), la maladie de décompression devient problématique et d’autres procédures doivent être mises en place pour l’éviter : la dénitrogénation et les systèmes d’oxygénation à la demande.

La dénitrogénation

Le principe de la dénitrogénation est d'évacuer l’azote présent dans le corps humain pour supprimer à la racine le problème de la maladie de décompression (s’il n’y a plus d’azote dans le corps, il ne peut plus tenter de s’en échapper à cause de la diminution de la pression). Sans rentrer dans le détail, la procédure est de respirer de l’oxygène pur pendant un temps donné avant le décollage (ex: une “dénitro” de 2h apporte une protection de 70% après 1h passée à 10 600 mètres). L’inconvénient de la dénitrogénation, outre le matériel et l’encadrement nécessaire, c’est qu’à partir du moment où elle a commencé, le sujet doit respirer uniquement de l’oxygène non dilué à l’air ambiant, jusqu’à la fin du saut en parachute. Ce qui implique que pendant tout ce temps, l’inhalateur doit être 100% étanche avec le milieu extérieur. La moindre fuite fera introduire de l’air ambiant (donc de l’azote) dans le masque et donc de l’azote dans le corps. 

Oxygène à la demande

Les systèmes d’oxygénation à la demande permettent (entre autre) la délivrance d’air composé à 100% d’oxygène. Celui-ci est diffusé uniquement quand le sujet inspire, grâce à un capteur de pression. Il est extrêmement important que l’étanchéité du masque soit parfaite, dans le cas contraire c’est l’air extérieur qui serait inspiré avant même que le capteur de pression ne déclenche l’arrivée d’oxygène, ce serait l’hypoxie assurée.



Au dessus du FL 400 (≃12 000 mètres)

Au-delà de 12 000 mètres, le corps fait face à un problème de taille : la pression atmosphérique est trop faible pour que l’oxygène traverse la membrane qui sépare l’air (des poumons) et le sang. Le seul système qui permet d'empêcher ce phénomène est la pressurisation.

Dans l’aviation c’est la pressurisation de la cabine qui est utilisée mais le parachutisme impliquant d’ouvrir une porte, ce n’est pas vraiment compatible. Il reste la solution des combinaisons pressurisées. Vous avez déjà vu ce genre de combinaison pour le saut Red Bull Stratos, à 39 000 mètres.